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Un festin d’oxygène qui entraîne le chaos.

Début mai 1991, les marins pêcheurs de Houat remarquent un jour que l’eau est devenue noire. Quand ils remontent leurs filets de 50 mètres de fond, au large de Belle-Ile, il s’en dégage une odeur bizarre. Pourtant, ce n’est pas une marée noire. Ils avisent Pierre Mollo qui se rend sur place et diagnostique une catastrophe : à l’ouverture des filets, une boue marron se répand sur le pont comme une crème au chocolat, des gouttelettes brunes restant accrochées aux mailles. Les pêcheurs assurent qu’ils sont de plus en plus souvent éclaboussés par ces gouttelettes qui dégoulinent sur leurs visages, sur leurs cirés, les transformant en mineurs de la mer ! Et qui les contraint à chaque prise à nettoyer le pont et se laver eux-mêmes. Pierre Mollo fait des prélèvements, devinant déjà la cause du phénomène. Mais ce qui le surprend le plus, ce ne sont pas les quelques poissons encore emmêlés dans les mailles du filet, mais les coquillages qui y sont pincés. Qu’ils soient sortis des sédiments est déjà totalement anormal pour eux, mais en plus qu’ils aient eu ce reflexe surprenant de s’accrocher au filet !
Les marins comparent l’odeur de la boue à celle de l’œuf pourri. Le chercheur leur explique alors que le filet racle à 50 mètres de profondeur des fonds qui n’ont plus d’oxygène. « Le poisson qui est piégé par le filet ne peut donc pas être dégradé par des bactéries aérobies. On est donc en présence d’hydrogène sulfuré qui a cette odeur caractéristique. Comme c’est un milieu sans oxygène qui est en train de pourrir le fond, les coquillages sortent du sable et, dans une espèce de « sauve qui peut », s’accrochent à la première bouée qui passe, comme s’ils savaient qu’en pinçant un filet, ils allaient remonter à la surface », explique Pierre Mollo, très étonné par un tel phénomène.

Revenu au port de Houat, le chercheur installe son microscope dans une salle et invite les pêcheurs à regarder eux-mêmes. Dans la lunette du microscope, ils observent dans la gouttelette marron une seule espèce de diatomée que l’on appelle Ceratolina pelagica. Ces microalgues ont proliféré en concentration incroyable au large de Belle-Ile et sont en décomposition. Cette poussée trop forte de diatomées est tombée en neige sur le fond où les bactéries, après avoir festoyé, ont eu une indigestion (qu’on appelle eutrophisation) en consommant à la fois les diatomées et l’oxygène. Puis, ont commencé à apparaître des algues toxiques (Dinoflagellées) : Cératiums, Dinophysis, etc. Dans cette compétition, qui allait gagner ? Les diatomées ou les dinoflagellés ?

Le chercheur demande aux pêcheurs si un événement particulier était survenu dans les trois dernières semaines, car un phénomène de ce genre ne se produit pas en vingt-quatre heures. Réponse : il y a trois semaines, le barrage d’ Arzal (à l’estuaire de la Vilaine, Bretagne sud-est) a été ouvert. Or à chaque ouverture, les nutriments qui se sont accumulés derrière le barrage sont charriés avec l’eau de la rivière dans la mer et déclenchent une anarchie complète et une grosse indigestion. Quand il y a trop de nutriments, une seule espèce en profite et domine les autres. Dans le cas évoqué, il s’agit d’une diatomée, Cératolina pélagica, qui a envahi tout l’espace de l’estuaire de la Vilaine jusqu’au large de Belle-Ile (environ 50 km) en réduisant la diversité planctonique. Malgré ces mauvaises nouvelles, les pêcheurs semblaient quand même rassurés : enfin, ils avaient une explication ! Le phénomène n’était plus un « mystère ». Les eaux allaient redevenir normales quand la pollution serait délayée par les courants des marées à fort coefficient. Le lendemain, à la cale de Beg Meil , Pierre Mollo raconte ce qu’il a vu à un pêcheur qui lui avoue subir le même phénomène au large des Glénan. Ainsi, le panache marron de la Vilaine allait bien au-delà de Belle-Ile !

Quand une espèce domine, elle prolifère de façon exponentielle et empêche l’équilibre de la diversité, ce qui est très dommageable pour le milieu.

 


- Plancton sans frontière.

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