Brève histoire de la planctonologie
par Michel Glémarec
Les origines : Les radiaires mollasses
Au 18ème siècle, lors des circumnavigations, les naturalistes embarqués n’ont d’autre possibilité que de récolter la faune et la flore marines durant les longues escales.
Le zoologiste François Péron et le dessinateur Charles Alexandre Lesueur, lors de l’expédition dirigée par Nicolas Baudin (1800-1803) à bord du « Géographe » et du « Naturaliste », collectent en mer grâce à des palettes (espèces de grandes écumoires), les espèces planctoniques et plus particulièrement les méduses. Ces êtres gélatineux étaient appelés « radiaires mollasses » par Cuvier et en 1830, il les regroupait encore avec les Echinodermes ! Péron et Lesueur vont partager la paternité de la recherche marine en planctonologie avec Eschscholtz et Aldebert von Chamisso, émigré français en Allemagne, qui naviguent sous le pavillon russe. Toujours durant cette période, le zoologiste Lesson à bord de la « Coquille » avec Dumont d’Urville, s’intéresse aussi aux méduses (1843) et Dujardin, professeur à l’université de Rennes, montrera la libération des méduses à partir des hydraires fixés au fond de la mer (1845). Ainsi naît l’alternance de phases (pélagique et benthique) qui va permettre à l’embryologie de progresser rapidement.
Les allemands prennent vite la relève des français et Leuckart (1853), décrivant les structures coloniales flottantes et le polymorphisme des siphonophores, met en exergue la division du travail car chacun dans la colonie contribue à l’existence et au bien-être de tous...
Les 30 glorieuses de la biologie marine :
La part du plancton durant les « 30 glorieuses » de la biologie marine (1870-1900) est importante.
L’américain Alexander Agassiz est féru d’instrumentation et il invente entre autres, le filet à plancton que l’on peut fermer aux profondeurs voulues. Ceci suscite en Europe le développement de recherches planctoniques et l’Allemagne de Bismarck assure son ascension à la suprématie sur les océans, convoitée aux anglais.
Les missions allemandes durant cette période sont uniquement dévolues au monde planctonique, avec deux figures de proue, Victor Hensen et Carl Chun, à bord de la « Valdivia » et du « National ».
L’existence du plancton jusqu’à 5000 mètres de profondeur est prouvée : la possibilité pour les organismes planctoniques de migrer verticalement assure une accélération du transfert de nourriture de la surface vers les profondeurs.
Tous les pays européens se jettent alors dans la compétition et la France apparaîtra sous le pavillon monégasque. Le « Prince des mers » Albert 1er de Monaco, passionné par les problèmes d’alimentation aux grandes profondeurs, incitera Bourée puis Richard à mettre au point les plus grands filets à plancton à très large ouverture et confortera cette hypothèse de migration verticale du plancton.
Simultanément, le littoral français s’est muni d’une couverture exceptionnelle de stations marines où les universitaires vont se rendre maîtres des cycles biologiques de nombreux invertébrés en décrivant les stades de développement pélagique. En 1850 est créé à Concarneau, à la pointe de la Bretagne, le premier laboratoire marin où Fabre-Domergue se rendra célèbre en étudiant le développement des larves de la sole et du turbot dans une perspective d’aquaculture.
Autre exemple, celui de la station de Villefranche-sur-Mer en Méditerranée. Alexis Korotneff est professeur à Kiev et il fait de l’ancienne base militaire russe une station destinée aux études du plancton en baie de Villefranche en Méditerranée. Ceci à partir de 1885 et il est secondé par Constantin Dawydoff, embryologiste célèbre. En accueillant plus tard des réfugiés russes, Villefranche devient le haut lieu international d’étude du plancton.
Les allemands n’abandonnent pas le leadership dans le domaine planctonique en s’intéressant à la productivité des océans à des fins économiques. Hensen dénombre les œufs et larves de poissons commerciaux afin d’estimer les stocks d’adultes. Il est bien le père de l’écologie pélagique quantitative, ce qui n’empêche pas Haeckel de le traiter « d’escroc imbécile », tant il réfute cette approche quantitative de la biologie.
La planctonologie moderne : du « sang de la mer » au « couplage pelagos-benthos »
Hensen ouvre la voie à l’écologie marine qui se développe au tout début du 20ème siècle. Pour lui les organismes planctoniques constituent « le sang de la mer ». Cette métaphore suggère que, comme le corps humain, la mer transporte dans ses fluides les matériaux indispensables pour vivre. L’école de Kiel émet ainsi les hypothèses cohérentes sur les facteurs qui contrôlent le cycle annuel du plancton dans les mers tempérées (croissance végétale du phytoplancton, régénération des sels nutritifs, broutage par les herbivores…).
Cette école se heurtera à des difficultés financières et c’est la grande Bretagne qui devient leader en créant l’école de Plymouth.Le directeur du laboratoire de Plymouth, Allen, réunit une brillante équipe pluridisciplinaire aux noms prestigieux (Cooper, Hardy, Lebour, Russel…) qui font de la Manche Occidentale leur zone atelier de ce « bleu pâturage » et établissent un modèle quantitatif de la dynamique planctonique. Les études de routine sur plus de 50 ans ont montré toute la ténacité et par là l’efficacité des britanniques.
Le centre de gravité des études pélagiques s’est déplacé de Kiel à Plymouth, il traversera l’Atlantique pour se fixer à Woods Hole (USA).
Parallèlement, les océanographes soviétiques utilisent des indices de poids, de masse et d’énergie pour estimer les populations planctoniques dans les mers polaires d’abord, puis à toutes latitudes, à toutes profondeurs…Aucun espace n’est trop grand pour freiner la lourde machine soviétique qui se met en place dans les années 1930. Après la seconde guerre mondiale, soviétiques et américains dans le cadre de la guerre froide s’affrontent sur toutes les mers. Il faudra attendre les années 1960 pour que la France s’éveille.
L’écologie systémique ou étude des systèmes, naît à Barcelone avec le catalan Margalef, l’approche cybernétique prônée par les frères Odum (aux USA), permet d’établir les premiers réseaux trophiques. Dès lors rien n’est compréhensible sans le couplage pelagos-benthos. Une fois de plus, le concept écosystémique traverse l’Atlantique d’Est en Ouest. Avec ce couplage et les enregistreurs que sont les structures vivantes, la biologie marine va continuer à interpeller les autres disciplines de l’Océanographie. Nous sommes à la fin du 20ème siècle.
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